Ces animaux morts pour la France

cheval-de-guerreIls ont droit à toute notre reconnaissance

Ils sont entrés dans les conflits sans qu’on leur demande leur avis…sans qu’on demande l’avis de leur propriétaire non plus. Sommés d’obéir aux réquisitions de l’armée, ou de vendre leurs bêtes, sous la menace parfois, les propriétaires de haras, les paysans, les éleveurs, ont vécu cette transaction comme un arrachement, aussi chargé en émotion qu’un avis de mobilisation personnelle.

Les chevaux, les mulets et les ânes ont été mis à lourde contribution pendant la première guerre mondiale : en 1916, pendant la bataille de la Somme, tout le plateau était invisible, recouvert entièrement de chevaux. Mais l’armée a aussi utilisé les chiens, les chats, les pigeons voyageurs( Vaillant par exemple s’est rendu célèbre au Fort de Vaux à Verdun), les éléphants (ceux du cirque Pinder) et même les canaris !

8 millions de chevaux ont trouvé la mort et tous ont combattu dans d’effroyables conditions: blessures par balles, obus, attaques chimiques (les Allemands les ont utilisés comme cobayes pour vérifier l’efficacité de leurs armes biologiques et chimiques), dermatoses, maux de dos (ils n’étaient jamais assez souvent dessellés) et usure des fers dus à la fatigue excessive, malnutrition (par manque criant de fourrage). Les vétérinaires dans les hôpitaux spécialisés les soignaient du mieux qu’ils pouvaient (ils faisaient appel à des dons par voie d’affiches publicitaires pour les médicaments) et les renvoyaient sur le front dès qu’ils étaient sur pied.

Un cheval en temps de guerre était aussi précieux qu’un homme, voire plus précieux. Déjà, il entretient avec son cavalier un rapport privilégié qui contribue à lui remonter le moral, ce qui est capital dans de telles circonstances. Ce n’est pas pour rien que les Britanniques ont inscrit sur le magnifique Monument aux morts dédié aux animaux qu’ils ont érigé à l’est de Hyde Park ( Londres) cette merveilleuse devise: Help the Horse to save the soldier (aide le cheval à sauver le soldat).

Mais il n’est pas précieux uniquement psychologiquement, il a d’autres atouts: il ne consomme pas de carburant, alors que la production de gaz et de charbon était déficitaire par rapport aux besoins de l’époque ; il se faufile dans des endroits inaccessibles à des véhicules motorisés, pratique le tout terrain, tracte les ambulances en cas de panne par exemple, et a même servi de leurres pour tromper l’ennemi sur la localisation des troupes ou la nature du matériel!

Barbusse dans Le Feu( Goncourt 1916) fait parler les protagonistes d’une escouade de poilus entrain d’embarquer dans une gare qui viennent de s’apercevoir que du matériel militaire et des chevaux portent des traces de peinture :

«- y a bien des chevaux qui sont peints.Tiens, pige çui-là, là, qu’a les pattes larges et qu’on dirait qu’il a des pantalons ? Eh ben, l’était blanc et on y a foutu une peinture pour qu’i change sa couleur.

Le cheval en question se tenait à l’écart des autres, qui semblaient s’en méfier et présentait une teinte grisâtre jaunâtre, manifestement mensongère…

  • Tu vois, les bourins, dit Paradis, non seulement on les fait tuer, mais on les emmerde».

Ils ne croyaient pas si bien dire !

Les chevaux étaient sélectionnés en fonction de leur capacité au trot ou au galop et en fonction de leur race. Les demi sang( issus d’un croisement entre une race à sang chaud et une autre race plus commune) sont montés par la cavalerie et en particulier le cheval limousin très apprécié des officiers de cavalerie; le cheval ardennais , lui, servait au transport de l’artillerie chez les Français comme chez les Belges. Quant au percheron, il était destiné à la logistique et à l’approvisionnement; il est robuste, possède peu de fanons ( touffe de crins qui lui recouvre l’ergot), donc il est d’un entretien facile, surtout après avoir traversé des chemins boueux.

Le mulet a été utilisé dans les Vosges pour acheminer du matériel dans les tranchées, et les ânes pour transporter des charges de 60 à 70 kilos de ravitaillement sur le dos, dans des passages non carrossables pendant la bataille de Verdun.

chien1914Les chiens étaient des sentinelles précieuses; ils étaient placés en avant postes ou dans les tranchées pour assurer le repos des unités ou la surveillance des stocks de munitions. Ils étaient dressés à l’attaque, détectaient les bruits de pas d’un ennemi invisible. Affectueuse compagnie pour le guetteur isolé, ils l’empêchaient aussi de s’endormir. Doués d’un bon flair, ils servaient de «boussole», quand la patrouille partait en déplacement dans des lieux à visibilité réduite, ou sur des terrains accidentés et boueux, très nombreux sur les fronts du nord et de l’est; ils ont été de bons auxiliaires pour la croix rouge (les chiens ambulanciers), guidant les brancardiers vers les blessés. D’autres encore, appelés chiens ratiers, étaient spécialisés dans le repérage des rats qui pullulaient dans les tranchées; ils les déterraient à même le boyau ou le recoin de la tranchée et les égorgeaient.

La France possède peu de Monuments aux Morts dédiés aux animaux; mes préférences sont allées à 2 d’entre eux : celui de Couin, une toute petite commune de 103 habitants dans le Pas de Calais et celui de Chipilly à côté d’Amiens. Le premier est tout simple, mais n’oublie aucun animal; le second est lourd en émotions.

pigeonÀ Couin, c’est le Souvenir Français qui en a pris cette initiative, il y a 5 ans. M.Yvon Damet, cordonnier en retraite a construit une modeste stèle, toujours fleurie et très visitée; la dédicace s’adresse à tous les animaux martyrs de la patrie: chiens, pigeons, ânes, chevaux, mulets… Si les canaris cessaient de chanter, c’est que les gaz n’étaient pas loin…raconte-t-il sobrement.

Le sculpteur Henri Désiré Gauquié a érigé à Chipilly une magnifique statue représentant un artilleur britannique (58 ième division qui a combattu âprement les 8/9 août 1918, lors de la bataille d’Amiens ) tenant dans ses bras la tête de son cheval blessé; la tendresse fusionnelle entre l’homme et la bête est particulièrement bien rendue par l’échange de regards.

De nombreux livres et articles, écrits pendant ou après la guerre traitent du sujet( Eric Baratay: Bêtes des tranchées, est souvent cité comme référence par Brigitte Bardot) mais c’est le film de Steven Spielberg Cheval de Guerre, sorti en février 2012, adapté du roman de Michael Mopurgo (Grande Bretagne 1982), qui permis au grand public de prendre conscience du rôle joué par les animaux pendant les guerres, et de leur souffrance.

Marie-José Conte

Le 11/11/2016

Lien Permanent pour cet article : http://vrbm.poweredbyclear.com/flexshare/vrbm/?page_id=5833